Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
79
MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

nuance de galanterie romanesque et d’inclination aux aventures qui annonce la noble Espagne.

À Toulouse, on trouve une véritable disposition pour la musique. J’expose rapidement les sensations que j’ai rencontrées dans mes voyages, et je ne garde pas toutes les avenues contre la critique ; je sais, par exemple, que Nîmes est sur la rive droite du Rhône.

En remontant des Pyrénées vers le nord, nous voici à cet heureux pays où les gens se peignent tout en beau, et ne doutent de rien. La Gascogne, de Bayonne à Bordeaux et Périgueux, a fourni à la France les deux tiers des maréchaux et généraux célèbres : Lannes, Soult, Murât, Bernadotte, etc., etc. Je trouve infiniment d’esprit naturel à Villeneuve-d’Agen et à Bordeaux, mais, en revanche, bien peu d’instruction ; ce qui a valu une teinte noire à ces départements dans la carte de M. le baron Dupin. Le paysan est tout à fait barbare vers Rhodez et Sarlat, mais rien n’égale son génie naturel. Il pourrait lire Don Quichotte avec plaisir, tandis que le Normand n’y remarquerait que quelques idées fort judicieuses de Sancho Pança. Dans tous ces pays, le bourgeois est possédé du fanatisme de la propriété. Un homme a-t-il un domaine valant quatre-vingt mille francs, il achète le champ voisin qui en vaut trente mille, et qu’il compte payer sur ses économies, de façon que toute sa vie il manque d’un écu. Mais la gasconnade lui suffit ; il appelle sa maison un castel, dit à chaque mot qu’il est grand propriétaire, et finit par le croire.

Nous avons laissé au sud-est le pays de l’esprit fin et du patriotisme éclairé, Grenoble qui, le 6 juillet 1815, vingt jours après Waterloo, lorsque toute la France était découragée, et elle, abandonnée par les troupes de ligne et le maréchal Suchet, qui se retirait sur Lyon, voulut pourtant se défendre. Grenoble combattit généreusement les troupes piémontaises, qui n’étaient autres que les excellents régiments levés par l’empereur dans le Piémont. Ce trait de cou-