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Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, II, Lévy, 1854.djvu/127

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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

m’a fait manger d’excellentes truites ; mais à ce repas je n’ai bu que du vin.

M. B. possède un ouvrage de Nicolas Barnaud, né à Crest (Drôme) dans le seizième siècle ; mais il n’a pu le retrouver ce soir, et le temps me pressait. Barnaud, qui voyagea beaucoup, dit que l’état de France ne peut être sauvé qu’en organisant les bourgeois en milice et vendant les biens du clergé. Il faudra déporter les prêtres qui ne voudront pas se marier, et fondre les cloches. Barnaud publiait ses écrits sous le nom de Froumenteau. On voit que, deux siècles après leur réunion à la France, les Dauphinois étaient encore d’assez singulières gens.

Au moment où ce principe insolent de tout diriger vers le plus grand bien-être de tous cessa peut-être d’animer un peu ces bourgs situés dans les montagnes, et souvent séparés quatre mois de l’année de leurs voisins les plus proches par la neige et le danger des routes, Lesdiguières vint leur apprendre à se soucier fort peu du successeur de leurs dauphins, qui tenait sa cour à cent lieues de leurs frontières, et ne les protégeait pas contre le Savoyard.

Autrefois, à une demi-lieue plus loin que Pont-en-Royans, sur le chemin de Rancourel, il y avait un bac assez singulier. À cent pieds d’élévation, sur la Bourne, on voyait une grosse corde tendue d’une rive à l’autre, et les voyageurs passaient la rivière dans une benne (ou petite caisse de bois ronde) qui avait deux trous ; la grosse corde passait dans ces trous, et, avec une petite corde, on tirait la benne d’un côté de la rivière à l’autre.

Au retour de Pont-en-Royans j’ai traversé rapidement la forêt de Claix, et ensuite Saint-Marcellin, qui a un joli boulevard. En province la vue des arbres rafraîchit l’âme, comme la vue d’une ruine romaine ; c’est quelque chose qui n’est pas affecté.

Mais il faut que ces arbres ne soient pas mutilés et taillés par les ordres de M. le maire. Quelle différence, grand Dieu, avec les charmants jardins de Leipzig, de Nuremberg, etc. ! Et nous nous intitulons la belle France. C’est le pendant de Mery England,