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ŒUVRES DE STENDHAL.

mirable, c’est qu’elle a deux aspects absolument différents, suivant qu’on se place sur les collines de la rive droite ou sur celles de la rive gauche. À Montbonot, par exemple, rive droite, vous avez sous les yeux, d’abord les plus belles verdures et les joies de l’été ; plus loin l’Isère, grande rivière ; au delà, des collines boisées, et, encore au delà, à une hauteur immense et comme sur vos têtes, les Alpes, les Alpes sublimes passées par Annibal, et encore en partie couvertes de neige le 5 août.

Un certain pic qui, je ne sais pourquoi, a des formes arrondies, s’appelle Taillefer ; il est couvert d’énormes prismes de granit, qui restent noirs, parce que la neige ne peut y tenir. On m’a nommé un si grand nombre de ces montagnes respectables, qu’il est bien possible que je confonde.


— Grenoble, le 10 août.

Ce matin l’on m’a réveillé à sept heures pour aller manger des cerises à la vogue de Montfleury ; c’est un ancien usage, et un ancien couvent de dames nobles à une demi-lieue de la ville, dans une position unique au monde. Toutes les dames qui sont à la campagne, aux environs, se rendent de bonne heure dans ce délicieux petit vallon, du fond duquel, pendant un instant, on n’aperçoit plus la grande vallée de l’Isère. Les dames de la ville y arrivent de leur côté en belles calèches ; cela fait une matinée charmante. Les paysannes des environs, dans leurs plus beaux atours, vendent de petits paquets de cerises arrangées en bouquets, et des fraises admirables cueillies dans les bois du côté de la Grande-Chartreuse.

On raconte devant moi les persécutions atroces et jésuitiques dont MM. Froussard, maîtres de pension à Montfleury, furent l’objet pendant la restauration. Tout cela est-il vrai ?

De Montfleury, je suis allé de nouveau à Montbonot ; je ne me lasse point de la vue étonnante que l’on a de ce village.

Aujourd’hui, à quatre heures, mes affaires terminées, je suis parti pour Domène (sur la rive gauche de l’Isère). De là j’ai vu