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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

Dans ces domaines on fait du vin ; quand Grenoble est occupée par une garnison nombreuse, on vend ce vin six sous le litre, et quatre sous quand il n’y a pas de garnison. Les propriétaires voient donc venir la forteresse avec plaisir. C’est Grenoble qui approvisionne de sucre, de café, de savon, de draps, de toile, de blé même, toutes les montagnes qui l’entourent depuis la grande Chartreuse jusqu’à Allevard et au Bourg-d’Oysans ; elle a un commerce sûr, elle peut donc se passer de garnison.

Cette ville, je parle de la nouvelle, sur la rive gauche de l’Isère, dont tous les beaux quartiers sont dus à Lesdiguières, est située dans une petite plaine formée par le Drac. Sur quoi il y a trois choses à observer : 1o  Autrefois, peu avant Lesdiguières, le Drac se jetait dans l’Isère dans le lieu occupé aujourd’hui par l’allée de beaux marronniers ; 2o  on ne voyait sur la rive gauche, avant Lesdiguières, que la cathédrale, le palais du Dauphin et l’église de Saint-André, chapelle de ce palais ; 3o  on entrait dans la ville par la tour de Rabot, par conséquent tous les transports se faisaient à dos de mulets.

Il n’y a pas trente ans que les Grenoblois ont eu l’idée d’embellir leur ville. Ils ont acheté une belle source, et au moyen de tuyaux de fer l’ont amenée sur la place de Grenette et ailleurs ; mais depuis les fontaines ils disent qu’ils ont des rhumatismes.

J’ai été sur le point d’en prendre un hier soir en me promenant, de neuf à dix heures du soir, après une journée excessivement chaude, sous la magnifique allée de marronniers. Il y régnait une fraîcheur fort agréable, mais perfide. Rien de plus singulier et de plus enchanteur que ces arbres admirables éclairés par la lune ; ils ont quatre-vingts pieds de haut et six pieds de coupe. Ce jardin se trouve précisément au centre de la ville, avantage unique ; mais il est encore bizarrement découpé par une grille de fer. Il faudrait changer tout cela et cacher les maisons par des arbres. Le maire de Grenoble est homme d’esprit, je voudrais qu’il allât voir Leipzig ou Nuremberg. Croirait-on qu’il y a des gens assez fous pour proposer sérieusement de supprimer