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ŒUVRES DE STENDHAL.

lignes de blocs de granit tellement semblables à ceux d’Erdéven, que, pour les décrire, il faudrait employer les mêmes paroles. Elles vont de l’ouest à l’est.

Le pays de Carnac et d’Erdéven était peut-être une terre sacrée ; puisque, après tant de siècles, il est encore couvert d’un si grand nombre de blocs de granit dérangés de leur position naturelle par la main de l’homme.

Comme la pierre de Couhard d’Autun, comme les aqueducs romains près de Lyon, toutes ces lignes de blocs de granit ont servi de carrières aux paysans. On a détruit plus de deux mille pierres dans les environs de Carnac depuis peu d’années ; la culture, ranimée par la révolution, même sur cette côte sauvage, les emploie à faire des murs en pierres sèches. La population d’Erdéven étant plus pauvre que celle de Carnac, elle a détruit moins de blocs de granit.

J’oubliais de noter qu’aucun de ces blocs ne semble avoir été ni taillé, ni même dégrossi ; beaucoup ont douze pieds de haut sur sept à huit de diamètre. L’unique beauté, aux yeux des constructeurs barbares, ou plutôt le rite prescrit par la religion, était peut-être de les faire tenir sur le plus petit bout, c’est-à-dire de la façon la moins naturelle.

Les habitants de ce pays paraissent tristes et refrognés. J’ai demandé ce que l’on pensait d’un monument si étrange. L’on m’a répondu, comme s’il se fût agi d’un événement d’hier, que saint Cornely, poursuivi par une armée de païens, se sauva devant eux jusqu’au bord de la mer. Là, ne trouvant pas de bateau, et sur le point d’être pris, il métamorphosa en pierres les soldats qui le suivaient.

— Il paraît, ai-je répondu, que ces soldats étaient bien gros, ou bien ils enflèrent beaucoup et perdirent leur forme avant d’être changés en pierres. Sur quoi, regard de travers.

Aucune des explications que les savants ont données n’est moins absurde que celle des paysans :

1° Ces avenues marquent un camp de César ; les pierres