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Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, II, Lévy, 1854.djvu/207

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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

la jeune personne va se promener seule et où elle veut avec son promis. Au bal elle ne danse qu’avec lui.

Je pense bien que s’il y avait des inconvénients, la prudence génevoise prendrait toutes les précautions imaginables pour qu’ils n’arrivassent pas à l’oreille d’un étranger ; mais je suis convaincu que les malheurs réels sont on ne peut pas plus rares à Genève.

Rien n’est plus rare aussi que de voir rompre un mariage communiqué. Une fois, il y a une vingtaine d’années, une promise ayant dansé avec un cavalier autre que son promis, celui-ci en prit occasion de rompre le mariage. Peut-être la demoiselle, qui avait beaucoup de fortune et infiniment d’esprit, ne fut-elle que médiocrement affectée de ce résultat.

Est-ce à Calvin que les Genevois doivent cette admirable institution des sociétés de jeunes filles ? Je ne suis assez lié avec aucun Génevois pour oser lui faire des questions sur un sujet si délicat.

Une telle question choquerait surtout de la part d’un Français. À Paris, ce sont les notaires qui font les mariages. Ce seul fait, qui, à la vérité, est cruel, nous expose aux plaisanteries de toute l’Europe et même à quelque chose de plus. Quel contrepoids trouveront les attaques de l’amour, lorsqu’elles viennent s’adresser à une jeune femme après deux ou trois ans de mariage, quand toutes les illusions commencent à s’envoler ?

Les Génevois ont toute la tristesse des mœurs anglaises, d’accord ; mais du moins ils retrouvent, le soir, dans leur maison, un peu monotone il est vrai, la femme qu’ils ont choisie et aimée dans leur jeunesse.

En vérité, je suis trop fatigué pour raconter les détails de la nuit mémorable (du 11 au 12 décembre 1602), pendant laquelle le duc de Savoie tenta de surprendre Genève. Il est onze heures trois quarts ; depuis neuf heures et demie environ, trois jeunes négociants, qui ont été ouvriers, me racontent les détails de l’action, avec une verve qui m’électrise. Ils n’ont pas besoin de