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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

deux pieds, soutenaient l’écusson des armes de M. Bianchi, je crois, au-dessus de la porte cochère de sa maison, qui est bien à deux cents pas d’un couvent ; les religieuses n’ont eu ni paix ni trêve que les enfants n’aient été démolis. En 1815, une auguste personne a fait enlever du musée du Louvre la Léda du Corrége : ce tableau a-t-il été détruit ou vendu par quelque fidèle du temps ?

Ces deux traits d’histoire me font un plaisir infini.

Vous connaissez ces jolies îles d’Othaïti dont Cook et Bougainville vous ont donné l’amusante description. Des prêtres méthodistes y ont pénétré. Non-seulement on n’y fait plus l’amour,

Plus d’amour, partant plus de joie,


mais on y meurt de faim ; les nouveaux chrétiens ne cultivent plus les champs, la population diminue. Ma foi, ils ont raison, une si triste vie ne vaut pas la peine de planter des pommes de terre pour la continuer.

Voilà Genève dans les hautes classes, et les hautes classes ont établi la mode. Je crois qu’un Génevois qui aurait la mine gaie et sans souci serait chassé de son cercle. Tout cela est parfaitement estimable, mais c’est bien triste.

Ici tous les hommes font partie d’un cercle, et il me semble que l’intérieur de la famille est si agréable, que dans cette ville de vingt-six mille âmes il y a au moins soixante cercles ou clubs.

À force d’imiter la Bible, ou ce que les commentateurs disent qu’est la Bible, les rapports des sexes sont devenus fort maussades. Le mari se lève à sept heures, travaille jusqu’à midi et demi, vient dîner rapidement, et de façon à se retrouver à deux heures et demie à son cercle, où il prend une demi-tasse de café. Il revient à son comptoir ou à sa fabrique, et le soir à sept heures court à son cercle, où il passe la soirée : il ne rentre chez lui qu’à dix ou onze heures.