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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

En Italie, le pays le plus religieux du monde apparemment, tous les amours finissent régulièrement chaque année, huit jours avant Pâques.

Convenez que cette admirable religion jésuitique n’a qu’un défaut, c’est d’être un peu trop ennemie de la liberté de la presse et du gouvernement des deux Chambres. Ce n’est pas que, par goût, je n’aimasse mieux vivre sous la monarchie, telle qu’elle existait sous la régence du duc d’Orléans, vers 1720 ; mais comment faire reculer le temps ?

Nous arrivons au grand problème qui va décider de la civilisation du vingtième siècle. La religion romaine ne peut pas absolument permettre l’examen personnel.

D’un autre côté, le gouvernement dont les peuples sont amoureux aujourd’hui ne peut pas exister sans l’examen personnel le plus étendu et sans la liberté de la presse (dont les écarts seront seulement réprimés par un jury toujours fort indulgent). Il est évident que si on osait écrire la vérité, il faudrait placer sur la porte de tous les palais des communes le mot MÉFIANCE. Or ce mot ne peut pas s’accommoder avec la religion de saint Augustin, qui dit : Je crois précisément parce que c’est absurde.

Comment ces deux grandes forces, la religion et la passion des peuples pour des Chambres discutantes, vont-elles s’arranger ensemble ? Laquelle des deux l’emportera dans le cœur des hommes ? Là est toute la destinée du vingtième siècle.

Calvin fit une paix entre ces deux ennemies, la religion et l’amour de la liberté. Il fit brûler Servet, qui voulait déranger cette paix ; elle a duré près de trois siècles, jusqu’à l’avénement des momiers ; et enfin cette paix, après elle, nous a laissé la curieuse république de Genève.

J’aurais pu faire un gros livre avec cette page, il suffisait d’entourer les assertions de preuves rapportées avec bonne foi ; je n’avais que l’embarras de choisir ; j’aurais été fort estimé peut-être, mais par qui ? Au reste, c’est un beau sujet à étudier