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ŒUVRES DE STENDHAL.

bré son bureau. Mais l’auteur est ami de son propriétaire, et, au moyen du journal, il veut entrer à l’Académie française ; il calcule qu’il lui faut pour cela quatre cents articles louangeurs dépensés en trois ans.

Je crois qu’un Génevois, en pareil cas, se ferait scrupule, comme d’un péché, de tromper ses abonnés dans une affaire d’argent : l’achat d’un livre.

Qui le croirait : il y a à Genève un rival de Béranger ; mais comme la chanson, toujours un peu satirique et libertine par essence, ne peut pas rapporter de profit dans un pays éminemment moral et triste, cet homme d’esprit est inconnu. Comme Buratti de Venise, il ne peut imprimer, et personne ne le connaît hors du cercle dont ses chansons égayent les promenades à la campagne. Je me garderais bien de nommer le poëte de Genève, et j’ai osé nommer Buratti de son vivant, quoique cet homme charmant vécût à Venise, pauvre ville qui expire sous le sceptre de plomb de l’Autriche. Je crois que, pour beaucoup de choses fort innocentes et très-nécessaires à mon bonheur, on est beaucoup plus libre en Autriche qu’à Philadelphie. Ma foi ! vivent les jésuites !

M. Coindet, petit-fils de l’ami de Rousseau, a encore beaucoup de lettres de ce grand écrivain ; plusieurs ressemblent à des pages de l’Émile. Je ne sais pourquoi on n’imprime pas ces lettres, dont j’ai pu parcourir des copies fort exactes. Il est une autre lettre du même auteur qui, tôt ou tard, verra le jour. Dans le genre tendre, passionné, sérieux, sans vaine hypocrisie, ce sera la plus belle page de la langue française.

J’étais à Bordeaux il y a quelques années ; M. D…, député, un des hommes d’esprit de ce pays-là, et, chose singulière, nullement Gascon, m’assura qu’il existait encore plusieurs manuscrits non publiés de Montesquieu ; apparemment les possesseurs sont dévots.

Grâce à l’incurie du gouvernement napolitain, les cinq sixièmes de Pompeï ne sont pas encore découverts ; j’en suis ravi.