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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

tique remplaça celle du chapiteau à bas-reliefs, représentant des hommes ou des animaux.

Dans tout ce qui a été bâti sous l’empire de l’architecture romane, la nef offre l’apparence de la solidité ; on exagère même cette apparence, on lui sacrifie beaucoup.

Si, au contraire, en entrant dans une église, le voyageur est frappé de l’apparence de légèreté de la nef, il peut en conclure hardiment que cette nef a été bâtie dans le treizième ou le quatorzième siècle ; c’est-à-dire, lorsque le gothique eut détrôné le roman, qui avait régné pendant les onzième et douzième siècles.

Ces deux architectures ont plusieurs parties semblables. À la première vue d’une église romane, on est frappé de sa largeur, qui est grande, comparée à sa hauteur. Ni les voûtes ni les arcades ne sont fort élevées. Les murs, très-épais, sont encore appuyés par des contre-forts. Si l’on examine l’ensemble, on reconnaît la prédominance des parties pleines sur les vides. Les colonnes sont fortes, souvent trapues, les piliers massifs. Les colonnes engagées qui, dans le style roman, montent le long des murs de la nef, jusqu’à la retombée des voûtes, sont de véritables contre-forts intérieurs. Enfin, la passion de la solidité n’accorde aux fenêtres que le moins de place possible. Oserai-je dire que, par l’idée de la solidité, cette architecture pouvait conduire les imaginations à la certitude des peines de l’enfer ?

Au contraire, par un contraste complet, quant aux moyens, tout cherche à se montrer léger et aérien dans une église gothique. À l’extérieur, on remarque de loin la hauteur de sa façade et l’élancement de toute la construction. Les contre-forts eux-mêmes affectent un air léger. Si l’on entre dans cet édifice svelte, on est étonné de voir des voûtes suspendues, pour ainsi dire, sur des colonnes d’une légèreté effrayante. Il n’est plus question de ces piliers lourds et robustes de l’architecture romane ; ils sont remplacés par des faisceaux de grêles colonnettes.