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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

instruments de cuivre, qui font tant de plaisir aux spectateurs qui ont dîné copieusement.

Un peu après la boutique de madame Della Maria, se trouve l’hôtel de ville, dont la façade, assez bonne, donne sur le port ; c’est là qu’est la Loge des marchands, ou Bourse.

On m’a montré sur un escalier la statue de Pierre Libertat, auquel, pendant deux cents ans, on a voulu faire une réputation de grand homme : c’est tout simplement un général Monck au petit pied. La Ligue avait régné à Marseille, et les bourgeois, voyant la décadence des armes espagnoles, songeaient à se mettre en république[1].

Deux hommes hardis, Charles Casaux et Louis Daix, gouvernaient et probablement marchaient à la république ; ils prirent de l’estime pour le courage et les talents de Pierre Libertat, l’admirent dans les secrets de leur gouvernement et finirent par lui confier la garde de la porte royale.

Libertat comprit que les républiques n’ont ni grands cordons ni trésors à prodiguer. D’ailleurs, quel service signalé pouvait-il rendre à la république ? Au contraire, il y avait de l’argent à gagner avec Henri IV. Libertat fit un accommodement avec le général commandant pour ce prince, qui lui assurait des honneurs, des dignités, des terres et de l’argent[2].

La façon dont le héros exécuta son traité est digne du traité même. Il livra Louis Daix aux assiégeants en faisant fermer la porte derrière lui au moment d’une sortie. Il avait conçu le dessein de faire tomber la herse de sa porte royale devant Casaux, et de l’assassiner ensuite entre les deux guichets ; mais il craignit la générosité de quelque soldat subalterne, et trouva plus prudent de l’attirer par un faux avis. Casaux accourt ; Libertat se tenait à son poste, l’épée à la main ; Casaux s’avance pour lui

  1. Comme les villes commerciales de la Hanse.
  2. Papon, Histoire de Provence, t. IV, p. 393, et t. VI, p. 338. — Ruffi, Histoire de Marseille, t. I, p. 420.