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ŒUVRES DE STENDHAL.

— Comment voulez-vous faire la guerre ? tous vos généraux ont plus de cinquante ans ; tous vos villages sont divisés en deux partis.

— J’en conviens, mais nous ferons des proclamations aux peuples étrangers parmi lesquels Napoléon a répandu l’amour de la France et de notre liberté. Si nous pouvons nous abstenir de piller, si nous savons bien traiter les prisonniers, au bout d’un an de guerre tous ces étrangers seront pour nous.

— Mais la Prusse est organisée plus militairement que vous, a repris le vieux colonel d’un air chagrin.

— Ces Prussiens sont gens d’esprit ; ils comprendront que la Russie est là, qui brûle de les conquérir.

— Mais supposez six années d’une guerre malheureuse, nous serons plus tranquilles après cette épreuve ; tous nos jeunes avocats, qui ne trouvent pas de causes à plaider, seront alors officiers dans nos régiments, et les jeunes gens qui naissent aujourd’hui n’auront plus sous les yeux, dans trente ans, l’exemple étourdissant de toutes les fortunes étonnantes faites par Napoléon ; leurs têtes n’étant plus troublées par ces exemples dangereux, ils comprendront que ce n’est pas la faute du gouvernement s’il y a plus de médecins que de malades.

— En attendant cette triste épreuve de six années de guerre, qui paralyseront notre industrie et empêcheront l’Angleterre d’achever la conquête de sa liberté, un gouvernement adroit aurait prôné Alger, comme il y a justement un siècle on prôna le Mississippi, du temps de Law ; il fallait sacrifier un million ou deux pour faire entrevoir à toutes les mauvaises têtes une fortune assurée dans les plaines de la Mitidja.

Pendant les moments solitaires de ce voyage, j’ai lu l’histoire de Marseille ; j’avoue qu’elle m’a intéressé, et si le lecteur a la patience de me suivre pendant quatre ou cinq pages[1], il parcourra ce singulier pays avec plus d’intérêt.

  1. Il n’y a pas grand mérite à transcrire quelques pages d’une histoire