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Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, II, Lévy, 1854.djvu/278

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ŒUVRES DE STENDHAL.

comme Venise, que d’être une île ; les belles habitudes de la civilisation grecque n’eussent point été polluées par le contact du triste gouvernement féodal.

Les anciens auteurs sont tous d’accord pour louer la sagesse du gouvernement des Marseillais ; la forme en était aristocratique. Six cents sénateurs appelés timuques ou honorés formaient le conseil de la nation. Un comité particulier, composé de quinze sénateurs, expédiait les affaires, et trois sénateurs, choisis parmi ces quinze, exerçaient à peu près l’autorité que les consuls avaient à Rome. Strabon nous apprend que, pour être timuque, il fallait avoir eu des enfants et être issu d’une famille inscrite sur le rôle des citoyens depuis trois générations.

Ce gouvernement vécut jusqu’à la prise de Marseille par César. Réduit alors à remplir des fonctions purement municipales, il défendit encore pendant un assez long temps le bonheur de Marseille contre le mauvais gouvernement du bas-empire.

Tacite dit que Marseille avait fait un heureux mélange de la politesse grecque avec la tempérance gauloise. Plaute, pour désigner des mœurs irréprochables, les appelle des mœurs marseillaises.

Mais le gouvernement républicain, laissant une foule de droits aux citoyens, est obligé de leur imposer une foule d’obligations qui, pour ma part, me gêneraient fort. Pour ne pas avoir de mécompte, il faut bien comprendre que les droits de la république ne peuvent pas exister sans de nombreuses restrictions à la liberté individuelle. Aux États-Unis d’Amérique, je nomme le roi, je nomme le commissaire de police, je nomme le balayeur de ma rue : mais si je marche trop vite le dimanche, je suis déshonoré ; on suppose que je marche pour me donner le plaisir de la promenade, et non pour aller au temple. En un mot, il faut, avant tout, que je ne déplaise à aucun des ouvriers qui occupent des boutiques dans ma rue.

Dans cette Marseille primitive, les femmes ne pouvaient boire de vin ; la comédie était défendue ; chacun devait se livrer à