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Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, II, Lévy, 1854.djvu/291

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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

n’entre pour rien. La moins désagréable quarantaine de toute la Méditerranée est celle de la Valette ; deux fois par jour on vient vous faire de la musique. À Malte, à Livourne, à Trieste, l’autorité regarde les quarantaines comme un inconvénient ; à Marseille, on s’en fait un privilège dont on est fier. Donc, en revenant de l’Orient, n’abordez jamais en Provence.

Depuis qu’en 1832 la navigation à la vapeur s’est introduite dans la Méditerranée, on n’a pas songé à modifier les règlements de quarantaine, bien antérieurs à cette époque. Le but de la navigation par la vapeur est de faire voyager vite ; on arrivera en dix jours de Constantinople à Marseille ; mais, en arrivant, le bureau de santé vous met en prison pour un mois sur un rocher désolé ; ne valait-il pas mieux que le voyage fût de quarante jours ? On se serait moins ennuyé.

Ce qu’il y a de plaisant, c’est que les ports étrangers cherchent à imiter la sévérité de Marseille ; chaque petit commissaire de la santé aspire à se faire tyran. Or, selon moi, les tyrans ont toujours raison : ce sont ceux qui leur obéissent qui sont ridicules. En 1836, le choléra se déclare à Naples ; depuis un an Marseille était guérie du sien ; mais les braves Napolitains, redoutant la contagion de la guérison, mettent une quarantaine de quatorze jours sur les provenances de Marseille. Et voilà frappés d’interdiction les huit bateaux à vapeur qui vont chaque mois de Marseille à Gênes, Livourne, Civita-Vecchia et Naples[1].

Mais pendant que cette antique absurdité de la quarantaine, quand il n’y a pas eu de mort en route, devient plus absurde par le hasard de l’invention de la vapeur, voici par bonheur qu’une

  1. En 1837, les bateaux à vapeur mettent vingt et une heures de Marseille à Gênes, neuf heures de Gênes à Livourne, treize heures de Gênes à Civita-Vecchia, d’où l’on va à Rome en six heures, et enfin treize heures de Civita-Vecchia à Naples. Si l’on veut passer quarante-huit heures ou quatre jours dans chacune de ces villes intermédiaires, on attend l’un des bateaux suivants ; mais il faut faire viser son passe-port par le consul de la puissance chez laquelle on va.