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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

six sommets pelés et quelques petits arbres, dans les points les plus bas entre ces sommets.

Je me suis logé au grand hôtel à la mode, la Croix de Malte, où, comme de raison, j’ai manqué de tout. On m’a changé trois fois de chambre pendant les dix-neuf heures que j’ai habité Gênes, et à la fin le cameriere ne savait plus où j’étais.

Cette ville est admirablement située en amphithéâtre sur la mer. Entre la montagne, haute comme quatre fois Montmartre, et la mer, on n’a eu d’espace que pour bâtir trois rues horizontales : l’une a huit pieds de large, c’est celle du grand commerce, où se trouve le bon café ; l’autre, derrière le mur du port, est abandonnée aux matelots de la dernière classe ; la troisième enfin, celle qui est le plus rapprochée de la montagne et qui porte successivement les noms Balbi, Nuova et Nuovissima, est une des plus belles rues du monde.

Elle a une architecture hardie, toute pleine de vides et de colonnes, qui rappelle celle de Paul Véronèse ou les décorations de la Scala de Milan.

Cette architecture magnifique et gaie semble manquer de gravité quand on arrive de l’intérieur de l’Italie. En venant de France, au contraire, l’œil, gâté par la place Bellecour, le garde-meuble, et autres belles choses du siècle de Louis XV, est étonné de la sévérité du palais Brignole et de ses voisins. Mais ceci est une affaire de sensation ; je ne puis tout au plus que dire au lecteur : Sentez-vous ainsi ? Mettez-vous en expérience, il y a là une sensation vive à recueillir. Après avoir erré de palais en palais, une grande heure, dans cette belle rue, j’ai cherché un café ; ils sont tous fort laids et mesquins à Gênes, cette ville d’argent.

D’après ce caractère, tout le monde y est prêt à vous rendre service, pour gagner quelque argent. Quelle différence, grand Dieu ! avec les gens de Naples, si indifférents à toute idée de lucre et si philosophes ! Aussi Naples a-t-elle créé une certaine musique, celle des Cimarosa et des Pergolèse. Comme je deman-