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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

qui était une chose sublime avant l’invention des ponts en fil de fer.

Le pont Carignan passe donc sur une bordée de maisons ; on est à trente ou quarante pieds au-dessus des cheminées ; je puis me tromper de quelques pieds ; je n’ai pas eu le temps de chercher les livres qui donnent les mesures exactes. Je vais voir les monuments sans livre ; le soir j’en lis la description dans la Guida de la ville, le lendemain je vais revoir le monument s’il en vaut la peine.

Cette église de Carignan, qui serait un chef-d’œuvre de gravité et de noblesse à côté de Notre-Dame de Lorette (de la rue Laffitte à Paris), est, ce me semble, une croix grecque avec un dôme fort élevé au milieu. Elle est assez médiocre pour l’Italie, mais sa position est admirable ; on a choisi pour la bâtir un petit monticule qui interrompt la pente générale de l’amphithéâtre, de Gênes vers la mer. Aussi la voit-on de partout, ce qui est fort essentiel pour le succès d’une église en ce pays. Il faut que les marins qui ont peur pendant la tempête l’aperçoivent de loin ; alors ils font des vœux à cette madone qu’ils voient[1].

Ce qui est étonnant, sous le rapport politique, c’est que c’est une seule famille, celle des Sauli, je crois, qui a bâti l’église et le pont. J’ai monté sur le dôme ; c’est le devoir du voyageur. Dans l’église j’ai admiré le saint Sébastien du Puget ; c’est toujours ce style simple, vigoureux, nullement énervé par l’imitation de l’antique, qui, à Marseille, me faisait regarder avec tant de plaisir son bas-relief de la peste.

Le saint Sébastien n’est nullement un brillant jeune homme, un ange de beauté comme les saint Sébastien du Guide, qui étaient enlevés des églises à Rome parce qu’ils rendaient les dévotes amoureuses. Le saint Sébastien du Puget est un vigoureux sous-officier de trente ans, ce qui est plus fidèle à l’histoire. Il

  1. M. le marquis Gian Paolo di Negri me dit qu’une de ces madones de la côte a une inscription qui est à la fois italienne et latine.