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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

tonnades de Catalogne, fort inférieures, et qui coûtent trois francs l’aune. À cela près, ces gens-ci sont républicains au fond et grands admirateurs de Jean-Jacques Rousseau et du Contrat social ; ils prétendent aimer ce qui est utile à tous et détester les injustices profitables au petit nombre, c’est-à-dire qu’ils détestent les privilèges de la noblesse qu’ils n’ont pas, et qu’ils veulent continuer à jouir des privilèges du commerce, que leur turbulence avait extorqués jadis à la monarchie absolue. Les Catalans sont libéraux comme le poëte Alfieri, qui était comte et détestait les rois, mais regardait comme sacrés les privilèges des comtes.

Nos fabricants de fer de la Champagne et du Berry ont au moins un raisonnement à leur service : si vous recevez les excellents fers de Suède, le fer sera pour rien et les Suédois pourront acheter les vins de France, mais nos usines tomberont. Tous les trente ans il y a dix ans de guerre. Alors vous ne pourrez plus recevoir les fers de Suède, et que deviendrez-vous ?

La Rambla m’a charmé ; c’est un boulevard arrangé de façon que les promeneurs sont au milieu, entre deux lignes d’assez beaux arbres. Les voitures passent des deux côtés le long des maisons et sont séparées des arbres par deux petits murs de trois pieds de haut qui protègent les arbres.

On ne parle que d’intervention ; je trouve peu digne de la fierté espagnole de demander toujours la charité. Qui nous a aidés en 1793 et 1794 ? Toute l’Europe nous faisait une guerre acharnée. Un grand homme, Pitt, avait juré la perte de la France. Aucun roi ne fait la guerre à l’Espagne, et surtout il n’y a plus de grands hommes.

En 1792, la France avait des hommes tels que Sieyès, Mirabeau et Danton. Ces deux derniers ont volé. Qu’importe ? ils ont sauvé la patrie ; ils l’ont faite ce qu’elle est. Sans eux nous serions peut-être comme la Pologne, et l’ordre régnerait à Paris[1],

  1. Allusion aux paroles prononcées à la Chambre des députés par le