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Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, II, Lévy, 1854.djvu/47

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MÉMOIRES D’UN TOURISTE


— Rennes, le… juillet.

À trois heures, j’ai quitté Lorient par un beau coucher du soleil, qui enfin après trois jours a daigné se montrer. J’occupais le coupé de la diligence avec un étranger, homme de sens, établi dans le pays depuis longues années, et qui en connaît bien les usages. Rien de plus joli que la route jusqu’à Hennebon : ce sont des bois, des prairies, des montées et des descentes, et toujours un chemin superbe. J’ai vu un dolmen. La route est parsemée de petites auberges hautes de cent vingt pieds ; il en sortait une femme qui nous demandait en breton si nous voulions un verre de cidre. Je faisais signe que oui, le postillon était fort content, et réellement ce cidre n’était point désagréable. Cette soirée a été charmante.

J’ai passé la nuit à Vannes, capitale des Venetes, qui sont allés donner leur nom à Venise. La tête remplie de ces vénérables suppositions, je suis reparti rapidement pour Ploërmel, dont j’ai admiré la charmante église. Ses formes, quoique gothiques, écartent l’idée du minutieux ; mais il faudrait deux pages pour expliquer suffisamment mon idée ou plutôt ma sensation, et rien ne serait plus difficile à écrire. Ce n’est pas que mes idées soient d’un ordre bien relevé ; il ne s’agit pas d’expliquer comment le Jugement dernier de Michel-Ange est une œuvre sublime. C’est que tout simplement, en parlant des églises gothiques, on s’aperçoit que la langue n’est pas faite, et peut-être la mode de les admirer cessera-t-elle avant que le public ait daigné s’informer de ce que c’est que le style flamboyant et les ogives trilobées. En général le gothique tend à jeter l’attention sur des lignes verticales, et, pour augmenter la longueur de ses colonnes, il a soin de ne jamais interrompre l’effet de leurs fûts si frêles par aucun ornement ; avec ses vitraux de couleur il répand une obscurité sainte dans les nefs inférieures et réserve toute la lumière pour les voûtes sveltes du haut du chœur.

La société grossière qui inventa la mode du gothique était lasse du sentiment d’admiration et de satisfaction paisible et rai-