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Page:Stendhal - Mémoires d’un touriste, I, 1929, éd. Martineau.djvu/299

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peler à l’existence des êtres auxquels on ne peut pas donner de pain ; mais ces messieurs travaillent dans un sens absolument opposé[1].

Aux États-Unis, on se marie imprudemment ; mais le jeune Américain a toujours la ressource d’acheter cinquante arpents de forêt avec deux cent cinquante francs, un esclave avec deux mille, des ustensiles de culture et des vivres pour six mois, moyennant mille francs, et, après cette petite dépense, lui, sa femme et leurs enfants peuvent aller cacher leur misère dans la forêt vierge qui borde leur pays et en fait toute la singularité. Il est vrai que le défricheur doit être charpentier, menuisier, boucher, et souvent, la première année de son établissement, lui et sa femme couchent à la belle étoile ; mais il a la perspective infiniment probable de laisser une belle ferme à chacun de ses enfants.

Comparez à ce sort celui du fils d’un négociant de Lyon, malheureux jeune homme, fort pieux, sachant le latin, ayant lu Racine, accoutumé à porter un habit de drap fin, et qui à vingt ans, à la mort

  1. M. l’abbé R. et madame R. à Échir.

    Quand on commencera à juger de l’immoralité d’une action par la quantité de malheurs qu’elle produit, vers 1870, le crédit que cette théorie obtient parmi le peuple fera horreur.