Page:Stendhal - Mémoires d’un touriste, I, 1929, éd. Martineau.djvu/301

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de génie seuls savaient faire la guerre.

Après la prise de Lyon, on conduisait une cinquantaine de Lyonnais attachés par le bras, deux à deux, à la plaine des Brotteaux, où on les fusillait. Tout en marchant, un de ces braves gens parvient à délier à moitié son bras droit lié au bras gauche de son compagnon d’infortune.

— Achevez de vous délier, dit-il à voix basse à celui-ci, et, à la première rue que nous rencontrerons à droite ou à gauche, sauvons-nous à toutes jambes.

— Que dites-vous là, répond le compagnon indigné, vous allez me compromettre !

Ce mot peint le courage mouton de l’époque, et la petite quantité de présence d’esprit dans les dangers, qu’une civilisation étiolée avait laissée aux Français. Ce n’est point ainsi qu’on en agissait du temps de la Ligue : voir les naïfs et admirables journaux de Henri III et de Henri IV ; on dirait un autre peuple.

Ce n’est point ainsi qu’il faudrait en agir si, par impossible, la Terreur reparaissait en France. On doit se faire tuer en essayant de tuer l’homme qui vous arrête. Un jeune homme ne se laisserait plus enlever de chez lui et conduire en prison par deux vieux officiers municipaux. Chaque arrestation deviendrait une scène pathétique, les femmes s’en mêleraient ;