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MÉMOIRES D’UN TOURISTE

faut pour donner l’envie de se moquer de lui.

À l’occasion d’un événement politique qui réjouit tous les Français, le capitaine de grenadiers Balarot s’est avisé d’organiser un dîner en pique-nique ; car il veut passer pour plus joyeux qu’un autre, en sa qualité de vrai patriote, comme il s’intitule. C’est apparemment à cause de sa joie qu’il a mangé comme quatre à ce dîner (excellent, ma foi, comme dans tout le Midi, et qui n’a coûté que six francs par tête ; des vins parfaits : un dîner inférieur à celui-là eût coûté vingt-cinq francs à Paris). Les airs de faire les honneurs du pique-nique, que se donnait M. Balarot, ont fait éclater la gaieté dès le potage, et cette gaieté est toujours allée en croissant.

Nous avions retrouvé la joie française d’avant la révolution. Les choses dont on a ri sont incroyables de simplicité. À minuit l’on s’est séparé ; mais voici ce qui est arrivé à une heure.

M. Balarot, qui s’était couché, se sentit l’estomac un peu fatigué ; il battit le briquet et voulut faire du thé : il avait la théière, mais il s’aperçut que le flacon contenant le thé était resté dans la chambre de madame Balarot, jeune et belle Provençale qui ne prend point au sérieux toutes les momeries gouvernementales