Page:Stendhal - Mémoires d’un touriste, I, 1929, éd. Martineau.djvu/49

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ou deux billets de mille francs ; j’avais la puérilité, je l’avoue, de les regarder avec une certaine complaisance. Jamais je n’avais eu tant d’argent, et cet argent était un pur bénéfice sur des opérations inventées par moi. Je me disais ces billets, je les ai gagnés, et, selon toute apparence, j’en gagnerai d’autres à l’avenir. Doué d’un caractère fort modéré, je ne songeais nullement à étendre mes spéculations, et j’avoue que, comme un avare, je couvais des yeux ces pauvres billets de mille francs.

Ma femme leur trouva bientôt un emploi. Nous donnions toujours quelques dîners, et par conséquent nos relations s’étaient beaucoup étendues ; ma femme parlait même de me faire nommer lieutenant dans ma compagnie. Elle s’écria un jour, comme d’inspiration : « Faut-il que les personnes qui viennent dîner chez nous se disent : Comment ces gens-là font-ils pour donner à manger ? ils doivent être gênés, à en juger par les meubles qu’ils ont chez eux. — Il faut l’avouer, cher ami, ajouta-t-elle, nos meubles ne conviennent plus au rang que tu t’es donné dans le monde. »

Je fis bien quelque résistance ; mais enfin, cette année-là, ce ne furent pas deux mille francs, mais sept à huit qui