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Page:Stendhal - Mémoires d’un touriste, I, 1929, éd. Martineau.djvu/494

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LE BATEAU ENGRAVÉ

À force de crier comme des énergumènes depuis une heure et demie, nos matelots n’avaient plus de voix ; ils ne pouvaient répondre aux plaisanteries des bateaux à rames qui descendaient rapidement le grand courant de la Loire et se moquaient d’eux en passant. Ils demandaient à ce bateau à vapeur, qui d’ordinaire les devance avec tant d’insolence, s’il voulait leur donner ses paquets pour Nantes.

J’avais grande envie d’appeler un de ces bateaux pour mon propre compte ; j’éprouvais encore un froid plus vif que l’avant-veille au cabinet littéraire. Enfin le comptable du bateau à vapeur s’est décidé à héler un grand bateau monté par un enfant de quinze ans ; nous nous sommes tous transvasés dans ce bateau, qui était sec. De ce moment tout mon chagrin a cessé. Ce bateau une fois chargé[1] a failli partir tout seul : nouveau redoublement de cris. On l’a attaché solidement au bâtiment à vapeur ; les mariniers sont venus ramer sur le bateau, ils l’ont exposé au courant d’une certaine façon, et enfin notre malheureux navire a repris un peu de mouvement. On sentait qu’il raclait le banc de sable.

À ce moment de grands cris se sont fait

  1. Correction d’après l’erratum de l’exemplaire Primoli et l’édition de 1854. N. D. L. É.