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Page:Stendhal - Mémoires d’un touriste, I, 1929, éd. Martineau.djvu/56

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si jamais le sort nous permettait de nous revoir : cette idée changea tout mon être.

J’avais compris que mon devoir strict était de remplacer la fille qu’il avait perdue auprès du vieux père de ma femme. Or, M. R…, élevé dans le commerce, ne connaît d’autre bonheur au monde que celui d’acheter et de vendre. Il a donc fallu continuer les affaires, et le sort, m’ayant refusé le bonheur de l’âme, s’est obstiné à me donner celui de la fortune. Je n’ai pas d’enfant ; mon beau-père est fort âgé ; quand je n’aurai plus de soins à lui donner, il me semble que je trouverai quelque plaisir à aller passer un an ou deux dans ces beaux climats où jadis j’ai trouvé une jeunesse si exempte de soucis et si gaie.

Mais quoi, me suis-je dit, quitterai-je l’Europe, peut-être pour toujours, sans connaître la France ? Je l’ai parcourue comme un commis voyageur et avec la rapidité qu’exigent les affaires ; ne pourrais-je pas voyager [maintenant] en regardant autour de moi ? Mais je ne suis point maître de mon temps ; le grand âge de mon beau-père lui donne une timidité inquiète, qui devient du malheur dès que je ne suis pas près de lui, pour lui prouver que nos spéculations sont avantageuses.

Mon père, me voyant riche, fut heureux.