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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

De nos jours, l’on croit faire de l’histoire, en exagérant les nuances que l’on rencontre dans les auteurs anciens, et l’on a ose écrire que le nom de Vercingétorix n’était prononcé dans Rome qu’avec épouvante. Quelque historien de même étoffe, cherchant ce même genre de gloire, dira peut-être dans deux mille ans, en parlant de la France au dix-neuvième siècle, que le nom seul d’Abd-el-Kader faisait pâlir les Parisiens.

L’emploi de la ruse suffit le plus souvent à César contre ces Gaulois si braves, mais si naïfs, et qui s’imaginaient que le courage suffit pour arriver à la victoire. Aux pièges et aux trahisons leur vanité de sauvage déclarait ne vouloir opposer qu’une bravoure invincible. Cette sorte d’ennemis semblait faite à plaisir pour procurer de la gloire au général romain passé maître en toute tromperie.

Aussi, César qui voulait surtout se faire un grand nom dans Rome, employa-t-il contre les simples Gaulois un luxe étonnant d’actions hardies et magnanimes. D’ordinaire il allait lui-même à la découverte, ayant derrière lui un soldat qui portait son épée ; il faisait au besoin cent milles par jour, franchissait seul à la nage, ou sur des outres remplies d’air, les rivières qu’il rencontrait, et souvent arrivait avant ses courriers. Comme Annibal, il marchait toujours à la tête de ses légions, le plus souvent à pied, et la tête découverte, malgré le soleil et la pluie. Sa table était frugale, et ce roué, digne de notre siècle, fit un jour battre de verges, en présence des soldats, un esclave qui lui avait servi du pain meilleur que celui dont l’armée se nourrissait.

Il dormait dans un chariot et se faisait réveiller toutes les heures pour visiter les travaux d’un siège ou d’un camp. Il était toujours environné de secrétaires, et quand il n’avait plus d’ordres militaires à dicter, il composait des ouvrages littéraires. C’est ainsi qu’allant de la Lombardie dans les Gaules, il dicta, en passant les Alpes, un traité sur l’analogie. Il composa l’Anti-Caton quelque temps avant la bataille de Munda, où, dit-on, il fut sur le point de mettre fin à son rôle, voyant que la victoire