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ŒUVRES DE STENDHAL

faire entendre leurs voix, et il faudra bien finir par faire quelque chose pour le Midi, qui ne se taira que lorsqu’il se verra à peu près au niveau du Nord.


— Bordeaux, le..... 1837.

Entre Montesquieu et nous, outre l’immense différence de génie, il y a encore la différence du point de vue. Ce que nous voyons se passer sous nos yeux tous les jours, il le regardait à peine, en 1750, comme une possibilité éloignée ; il est donc tout simple qu’il se soit trompé quelquefois dans ses prédictions. Le génie immense est d’avoir osé faire des prédictions. Que de fois n’avons-nous pas vu des institutions, longtemps désirées par nous, et enfin obtenues à grand’peine, manquer tout à fait leur but ?

Ainsi on forme une société composée des hommes de France qui ont le plus d’instruction ou d’esprit, on les charge de se recruter eux-mêmes, de choisir ce qu’il y a de mieux parmi les écrivains vivants, et il faut l’ordre de Napoléon pour qu’ils choisissent M. de Chateaubriand. Ce n’est pas qu’ils ne sentissent le mérite de ce grand écrivain ; ils ne le comprenaient que trop.

Montesquieu voyait le monde emprisonné dans une religion et une monarchie, qui envoyaient les dissidents à la Bastille. Son esprit seul lui disait que les choses pouvaient être autrement. Nous les avons vues être autrement, et combien de fois n’ont-elles pas changé ?

Que de gouvernements, depuis la faible république dirigée par cinq directeurs, honnêtes quelquefois, mais toujours petits d’intelligence ! Depuis l’homme de génie despote qui, pour faire le bien, croyait avoir besoin de ne pas trouver d’obstacles ; depuis l’homme d’esprit[1], ayant toujours peur et aimant à trôner, qui croyait que tromper c’est régner, que de changements jusqu’au moment actuel !

  1. Louis XVIII.