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Page:Stendhal - Pensées, I, 1931, éd. Martineau.djvu/70

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filosofia nova

cadavres une image beaucoup plus relevée que de ceux des animaux que nous voyons chaque jour et souvent dans des états très dégoûtants. Leur charogne nous paraît donc beaucoup moins repoussante que celles des animaux de l’Europe.

J’observe en mes voyages cette pratique : pour apprendre toujours quelque chose par la communication d’autrui, de ramener toujours ceux avec qui je confère aux propos des choses qu’ils savent le mieux.

Cette maxime qu’un vain orgueil nous engage souvent à ne pas pratiquer, nous offre cependant un double avantage. D’abord elle peut beaucoup contribuer à notre instruction, car il n’est pas d’homme qui n’ait quelque chose de bon à nous enseigner au moins sur une partie. Ensuite, elle est très propre à nous acquérir beaucoup d’amis, car quel est l’homme qui ne vous saura pas gré d’avoir donné[1] des

  1. Tout homme forme de son propre mérite un jugement qu’il n’avoue pas publiquement et qui le plus souvent est exagéré. Quelque bêtise prononcée vient bien l’avertir de temps en temps que ce jugement n’est pas juste et alors il tombe dans une grande mauvaise humeur. Jugez donc par là du plaisir que vous lui procurez lorsque vous lui fournissez quelque raison qui justifie l’idée intérieure qu’il a de son propre mérite. Lorsque vous dites à un homme : vous êtes un grand homme, il ne met de prix à cette louange qu’autant que vous en avez vous-même à ses yeux. Combien vous saura-t-il donc gré si vous la lui faites donner par l’homme qu’il estime le plus, c’est-à-dire par lui-même. Or c’est ce que vous faites en lui donnant occasion de briller et en ayant l’air de bien sentir tout le mérite de ce que vous