Page:Stendhal - Promenades dans Rome, I, Lévy, 1853.djvu/40

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C’est le sombre plaisir d’un cœur mélancolique.

La Fontaine.


À vrai dire, voilà le seul grand plaisir que l’on trouve à Rome. Il est impossible pour la première jeunesse, si folle d’espérances. Si, plus heureux que les écoliers de la fin du dernier siècle, le lecteur n’a pas appris le latin péniblement durant sa première enfance, son âme sera peut-être moins préoccupée des Romains et de ce qu’ils ont fait sur la terre. Pour nous, qui avons traduit pendant des années des morceaux de Tite-Live et de Florus, leur souvenir précède toute expérience. Florus et Tite-Live nous ont raconté des batailles célèbres, et à huit ans quelle idée ne se fait-on pas d’une bataille ! C’est alors que l’imagination est fantastique, et les images qu’elle trace immenses. Aucune froide expérience ne vient en rogner les contours.

Depuis les imaginations de la première enfance, je n’ai trouvé de sensation analogue, par son immensité et sa ténacité, qui triomphe de tous les autres souvenirs, que dans les poèmes de lord Byron. Comme je le lui disais un jour à Venise, en citant le Giaour, il me répondit : « C’est pour cela que vous y voyez des lignes de points. Dès que l’expérience des temps raisonnables de la vie peut attaquer une de mes images, je l’abandonne, je ne veux pas que le lecteur trouve chez moi les mêmes sensations qu’à la Bourse. Mais vous, Français, êtres légers, vous devez à cette disposition, mère de vos défauts et de vos vertus, de retrouver quelquefois le bonheur facile de l’enfance. En Angleterre, la hideuse nécessité du travail apparaît de toutes parts. Dès son entrée dans la vie, le jeune homme, au lieu de lire les poètes ou d’écouter la musique de Mozart, entend la voix de la triste expérience qui lui crie : Travaille dix-huit heures par jour y ou après demain tu expi-