Page:Stendhal - Promenades dans Rome, II, Lévy, 1853.djvu/12

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et de bonne foi ? Mais les articles de journaux leur manqueront dans les pays libres, et les croix sous le gouvernement monarchique. — Donc, pour être supérieur désormais, il faudra naître très-riche et très-noble, on se trouvera ainsi au-dessus de toutes les petites tentations.— Oui, mais en qualité de privilégié, on passera son temps à avoir peur du peuple. — Croyez-vous que sans véritable grandeur dans l’âme on puisse exceller dans les arts au dix-neuvième siècle ? — On peut avoir beaucoup de talent avec une âme faible. Voyez Racine, qui veut être courtisan et meurt de chagrin pour avoir nommé Scarron en présence de son successeur Louis XIV. Il ne faut pas voir l’homme meilleur qu’il n’est. Je suis persuadé que plus d’un artiste honnête homme est troublé et découragé par les succès des artistes intrigants. Donc, pour exceller désormais, il faudra naître riche et noble, voilà ce que les lettres et les arts auront gagné à la protection des gouvernants. Un cordonnier, dans certains pays, est plus heureux qu’un peintre ; protégé par la vulgarité de son métier, s’il excelle, il est sûr de faire fortune. Un mauvais cordonnier qui chausse le ministre n’est pas prôné à l’envi par tout le charlatanisme payé par le pouvoir : et qui pourrait résister à cet immense levier ? Le public qui n’a qu’une certaine somme à dépenser en tableaux achète chez le peintre prôné, et néglige Prud’hon.

— Monseigneur Colonna m’a demandé de lire avec lui l’Histoire de la Révolution de M. Thiers. Je lui explique les parties de cet ouvrage peu intelligibles pour un étranger. Il est frappé des figures colossales de ces hommes qui, en 1793, empêchèrent les soldats autrichiens d’arriver à Paris. Il ne veut pas croire qu’en 1800 nous fussions dégoûtés de la liberté.


9 juin 1828. — Qu’attendre d’un peuple énergique et souve-