Page:Stendhal - Promenades dans Rome, II, Lévy, 1853.djvu/243

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

PROMENADES DANS ROME. 237

colère est si vive, qu'ils en ont les larmes aux yeux. Le lendemain, vendredi, ou décroche Judas, on le traîne dans la boue jusque devant l'église ; le prêtre explique aux fidèles que Judas fut un traître, un franc-maçon, un libéral ; le sermon finit au milieu des sanglots de l'assistance, et là, sur cette figure souillée de fange, le peuple jure haine éternelle aux traîtres, aux francs-maçons et aux libéraux ; après quoi Judas est jeté dans un grand feu.

20 novembre 1828. — Je vais me déshonorer et acquérir la réputation de méchant. Qu importe ? Le courage est de tous les éiats, il y en a davantage à braver les journaux qui disposent de Topinion qu’à s’exposer aux condamnations des tribunaux. Montaigne, le spirituel, le curieux Montaigne, voyageait en Italie pour se guérir et se distraire, vers 1580. Quelquefois, le soir, il écrivait ce qu’il avait remarqué de singulier, il se sei vait indifféremment du français ou de Tilalien, comme un homme dont la paresse est à peine dominée par le désir d’écrire, et qui a besoin, pour s’y déterminer, du petit plaisir que donne la difficulté vaincue lorsqu’on se sert d’une langue étrangère.

En 1580, quand Montaigne passait à Florence, il y avait seulement dix-sept ans que Michel-Ânge était mort ; tout retentissait encore du bruit de ses ouTages. Les fresques divines d’André del Sarto, de Raphaël et du Gorrége étaient dans toute leur fraîcheur. Eh bien, Montaigne, cet homme de tant d’esprit, si curieux, si désoccupé, n’en dit pas un mot. La passion de tout un peuple pour les chefs-d’œuvre des arts l’a sans doute porté à les regarder, car sou génie consiste à deviner et à étudier attentivement les dispositions,des peuples ; mais les fresques du Gorrége, de Michel-Ange, de Léonard de Vinci, de Raphaël, ne lui ont fait aucun plaisir.

i".