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RACINE ET SHAKSPEARE

Les grands génies en Amérique tournent directement à l’utile. Voilà le caractère de la nation. Ils se font Washington ou Franklin et non pas Alfieri ou Canova.

L’attention est partout pour les discussions d’utilité et de politique et l’habitude de ces discussions rend impropre aux arts. Nous seuls, nous avons encore l’âme accessible aux douces sensations des arts et de la littérature.

Je n’hésite pas à le dire : dans l’état où en sont les choses en 1819, le véritable siège de la littérature, c’est le pays qui trois fois déjà a civilisé le monde :

1o Aux temps de l’antique Étrurie.

2o Sous Auguste.

3o Par le siècle de Léon X.

Pour prendre la place que la force des choses nous indique, sachons être d’opinions différentes, sans devenir ennemis ; laissons les basses injures à la canaille et méritons une sage liberté.

Un bon livre publié à Milan ferait événement ; à Paris, il serait étouffé par un pamphlet sur la conspiration de Lyon et le gal Canuel, et à Londres, par la discussion de la loi pour l’émancipation des catholiques.

Allez publier aujourd’hui à Munich une belle tragédie, et vous verrez l’effet qu’elle produira.

C’est pour cela que la question du romanticisme qui intéresse encore plus la France que l’Italie (car nos deux plus grands poètes, le Dante et l’Arioste, sont archi-romantiques), que la question du roman-