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RACINE ET SHAKSPEARE

« Pourquoi donc parlez-vous du comique, pourquoi prétendre dicter des lois sur un genre que vous ne sentez que d’une manière secondaire ? Voulez-vous donc absolument être universel ? Laissez cette prétention bizarre aux pauvres diables qui ne sont pas même particuliers.

« Avez-vous daigné observer comment le vulgaire acquiert la connaissance des hommes de génie ? Quand cent ans se sont écoulés, et qu’il voit que personne n’a approché de Milton, qu’il méprisait fort de son vivant, il le proclame un grand poëte, et sur-le-champ explique son génie par quelque raison absurde.

« C’est ce qu’on appelle la manière arithmétique de sentir le beau. Est-elle faite pour vous ? Les biographes mentent sciemment quand ils vous montrent les grands hommes honorés de leur vivant ; le vulgaire n’honore que les généraux d’armée. Molière, avant le 18 novembre 1659[1], n’était qu’un farceur pour les trois quarts de Paris, et il ne fut pas même de l’Académie, position où arrivait d’emblée le moindre abbé précepteur du plus petit duc. »

Ce gros receveur général, qui ne parle plus que chevaux et que landau, voyant que depuis cent ans il n’a rien paru d’égal au Roman comique de Scarron, daignera peut-être fermer les yeux sur la trivialité du rôle de Ragotin, lui qui, pendant trente

  1. Jour de la première représentation des Précieuses ridicules sur le théâtre du Petit-Bourbon.