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RACINE ET SHAKSPEARE

des beautés ; ils le rabaissent au-dessous de sa valeur réelle, et voudraient l’anéantir ; leur mépris est sincère. Ceux à qui des circonstances analogues, dans leur vie antérieure, ont donné de la sympathie pour l’esprit de notre auteur, sont plus touchés de ce qu’il a de recommandable que blessés de ses imperfections ; ils lui prêtent généreusement tout ce qui lui manque, cherchent en quelque sorte à le compléter, et par leurs louanges le placent à une hauteur qu’il n’atteint pas. Tous ont tort. Le génie reste tel qu’il est, quelles que soient nos dispositions accidentelles à son égard ; ni la vengeance pour l’ennui qu’il nous a donné, ni la reconnaissance du plaisir que nous lui devons ne peuvent l’enrichir en lui prêtant ce qu’il n’a point ; on l’appauvrit en lui enlevant ce qu’il possède.

« La juste appréciation de ce qui doit plaire en tel pays ou à telle époque, d’après l’état des esprits, voilà ce qui constitue le goût. Comme cet état moral varie infiniment d’un siècle et d’un pays à un autre, il en résulte les vicissitudes les plus étonnantes.

« Les Français ont eu, au seizième siècle, un poëte nommé du Bartas, qui fut alors l’objet de leur admiration la plus vive. Sa gloire se répandit en Europe ; on le traduisit en plusieurs langues. Son poëme, en sept chants, sur les sept jours de la création, intitulé la Semaine, eut, en cinq ans, trente éditions. Du Bartas fut un