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LE PHILTRE

C’était un jeune homme bien né, et qui avait encore besoin de prendre sur lui, pour avoir du courage avec les femmes qu’il aimait. Son ton fut si respectueux, il mit tant de grâce à faire les honneurs de sa petite chambre bien pauvre que, comme il se retournait après avoir arrangé un paravent, il resta immobile d’admiration en voyant la plus belle femme qu’il eût jamais rencontrée. L’étrangère s’était démasquée ; elle avait des yeux noirs qui semblaient parler. Peut-être à force d’énergie eussent-ils semblé durs dans les circonstances ordinaires de la vie. Le désespoir leur donnait un peu de sympathie ; et l’on peut dire que rien ne manquait à la beauté de Léonor ; Liéven pensa qu’elle pouvait avoir de dix-huit à vingt ans. Il y eut un moment de silence. Malgré sa douleur profonde, Léonor ne put s’empêcher de remarquer avec quelque plaisir le ravissement de ce jeune officier, qui lui semblait appartenir à la meilleure compagnie.

— Vous êtes mon bienfaiteur, lui dit-elle enfin, et, malgré votre âge et le mien, j’espère que vous continuerez à vous bien conduire.

Liéven répondit comme peut le faire l’homme le plus amoureux ; mais il fut assez maître de lui pour se refuser le bonheur