Page:Stendhal - Romans et Nouvelles, II, 1928, éd. Martineau.djvu/159

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
147
FÉDER

crierait, en arrivant de Saint-Domingue, qu’en vérité il n’y fait pas trop chaud. En un mot, vous me disiez que, pour être aimable, il faut, en ce pays, dire le contraire de ce à quoi s’attend l’interlocuteur. Et c’est vous qui venez parler d’une chose misérable comme le prix d’une paire de gants ! Votre atelier vous a valu l’an passé tout près de dix mille francs ; j’ai persuadé à notre ami Valdor, le huitième d’agent de change qui fait mes affaires, que, toute votre dépense prélevée, il vous restait à la fin de l’année douze billets de mille francs, que j’ai placés chez lui, en compte particulier. Mylord Kinsester (qui ne sait se taire, c’était le sobriquet de Valdor) a répandu dans tout notre monde que votre atelier vous valait mieux de vingt-cinq mille francs ; et vous venez parler avec admiration des vingt-neuf sous que coûte une paire de gants !

Féder se jeta dans ses bras ; c’était ainsi qu’il voulait une amie.

Depuis qu’il avait eu de si grands succès avec un habit râpé et des bijoux de chrysocale, il n’avait point abandonné la Chaumière et autres bals de ce genre. Rosalinde le savait, et en était au désespoir. Le nombre des amis qui connaissaient Féder comme un personnage mélancolique décuplait tous les ans ; quelques--