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ROMANS ET NOUVELLES


l’Homme aux quarante écus est de l’auteur de la Nouvelle Héloïse.

Cette image éloquente de Féder fit tant de peur à Boissaux, que machinalement il s’élança sur le volume de Voltaire qui était ouvert sur son bureau et le jeta sur un fauteuil éloigné.

— Quel mal voulez-vous que ce petit bavard dise de votre dîner de douze personnes qui vous a coûté deux mille francs ? Un de vos amis s’écriera : « Il en parle par envie ; ce pauvre diable a-t-il jamais vu un tel dîner, autrement que par le trou de la serrure ? » Le gouvernement est attaqué par la tourbe des avocats ; en achetant Rousseau et Voltaire, vous vous enrôlez dans le parti des bavards et des mécontents ; homme des jouissances physiques, vous faites corps avec les gens riches, vous épousez leurs intérêts ; ils en sont sûrs et le gouvernement aussi est sûr de vous : l’homme qui donne des dîners de deux mille francs a peur de la populace.

À ces mots, Féder consulta sa montre, et partit comme un trait ; il prétendit avoir oublié une affaire. Par cette disparition, la vanité de Boissaux était à l’aise ; toute l’attention du gros marchand n’était plus tournée à chercher quelque objection plausible aux faits avancés par Féder ; elle fut laissée tout entière à l’examen de la