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FÉDER


fort gai et qui adorait les chiffons venus de Paris. Au surplus, il ne lui restait aucun souvenir distinct et détaillé des sentiments qui l’avaient agité pendant tout le temps qu’il avait été amoureux. Il se voyait seulement accomplissant d’étranges folies ; mais il ne se rappelait plus les raisons qu’il se donnait à lui-même pour les faire.

L’amour lui inspirait donc un sentiment de terreur fort prononcé, et, s’il eût prévu qu’il deviendrait amoureux de Valentine, sans doute il fût parti pour un voyage. Il s’était laissé entraîner à la voir tous les jours ; d’abord parce qu’elle était remarquablement belle : il y avait certains traits dans sa figure qu’il ne se lassait pas de regarder comme peintre ; par exemple, ce contour des lèvres un peu trop grosses et susceptibles d’exprimer la passion la plus ardente, et qui faisait un étrange contraste avec le contour tout idéal du nez et l’expression chaste et sublime de ces yeux, dont le regard si vif semblait appartenir à quelque sainte du paradis, au-dessus de toutes les passions.

En second lieu, Féder s’était laissé aller à revenir tous les jours auprès de Valentine parce qu’elle était pour lui une distraction. Auprès d’elle il ne songeait pas aux chagrins que lui donnait la peinture, depuis que, dans un accès de bon sens sévère,