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FÉDER

plus que de la honte d’avoir pu se tromper, dix ans de sa vie, sur le véritable métier auquel il était propre, lorsque M. Delangle, l’un des premiers négociants de Bordeaux, dont il avait gagné l’estime et l’amitié dans la liquidation d’une affaire malheureuse, frappa de façon à ébranler toutes les portes du magnifique atelier que Féder avait rue de la Fontaine Saint-George. Delangle, annoncé de loin par sa voix tonnante, parut enfin dans l’atelier avec son chapeau gris, placé plus de côté qu’à l’ordinaire sur ses grosses boucles de cheveux d’un noir de jais.

— Parbleu ! cria-t-il à tue-tête, j’ai une sœur qui est un miracle de beauté ; elle a vingt-deux ans à peine, et elle est si différente des autres femmes, que son mari, M. Boissaux, a été obligé de lui faire violence pour l’amener à Paris, où il vient soigner l’exposition de sa manufacture de ***. Je veux avoir sa miniature ; il n’y a que vous, mon ami, qui soyez digne de faire un si charmant portrait ; mais c’est à une condition, c’est que vous me permettrez de le payer, morbleu ! Je connais votre délicatesse romanesque, mais je suis aussi fier de mon côté ; ainsi, point d’argent, point de portrait.

— Je vous donne ma parole d’honneur, mon ami, répondit Féder avec un son