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Page:Stendhal - Romans et Nouvelles, Lévy, 1854.djvu/325

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n’en fallut pas davantage pour la décider à fuir l’Allemagne. L’entreprise n’était rien moins que facile.

— Je veux quitter ce pays, dit-elle un jour à sa mère, je veux m’expatrier.

— Quand tu parles ainsi, tu me fais frémir ; tes yeux me rappellent ton pauvre père, lui répondit Mme de Wangel. Eh bien ! je serai neutre, je n’emploierai point mon autorité ; mais ne t’attends point que je sollicite auprès des ministres du grand-duc la permission qui nous est nécessaire pour voyager en pays étranger.

Mina fut très malheureuse. Les succès que lui avaient valus ses grands yeux bleus si doux et son air si distingué diminuèrent rapidement quand on apprit à la cour qu’elle avait des idées qui contrariaient celles de son altesse sérénissime. Plus d’une année se passa de la sorte ; Mina désespérait d’obtenir la permission indispensable. Elle forma le projet de se déguiser en homme et de passer en Angleterre, où elle comptait vivre en vendant ses diamans. Mme de Wangel s’aperçut avec une sorte de terreur que Mina se livrait à de singuliers essais pour altérer la couleur de sa peau. Bientôt après, elle sut que Mina avait fait faire des habits d’homme. Mina remarqua qu’elle rencontrait toujours dans ses promenades à cheval quelque gendarme du grand-duc ; mais, avec l’imagination allemande qu’elle tenait de son père, les difficultés, loin d’être une raison pour la détourner d’une entreprise, la lui rendaient encore plus attrayante.

Sans y songer, Mina avait plu à la comtesse de D... ; c’était la maîtresse du grand-duc, femme singulière et romanesque, s’il en fut. Un jour, se promenant à cheval avec elle, Mina rencontra un gendarme qui se mit à la suivre de loin. Impatientée par cet homme, Mina confia à la comtesse ses projets de fuite. Peu d’heures après, Mme de Wangel reçut un billet écrit de la propre main du grand-duc, qui lui permettait une