Page:Stendhal - Romans et Nouvelles, Lévy, 1854.djvu/337

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des colonies les blancs dont le sang a eu quelque rapport avec la race nègre. Contente de son déguisement, Mina songea à ne pas avoir d’idées d’un ordre trop remarquable. Absorbée dans son bonheur, elle n’avait aucune envie de parler. Placée auprès d’une fenêtre, dans la chambre de Mme de Larçay, et occupée à ranger des robes pour le soir, vingt fois par jour elle entendait parler Alfred et avait de nouvelles occasions d’admirer son caractère. Oserai-je le dire ?... Pourquoi pas, puisque nous peignons un cœur allemand ? Il y eut des momens de bonheur et d’exaltation où elle alla jusqu’à se figurer que c’était un être surnaturel. Le zèle sincère et plein d’enthousiasme avec lequel Mina s’acquittait de ses nouvelles fonctions eut son effet naturel sur Mme de Larçay, qui était une âme commune : elle traita Mina avec hauteur, et comme une pauvre fille qui était trop heureuse qu’on lui donnât de l’emploi. « Tout ce qui est sincère et vif sera donc à jamais déplacé parmi ces gens-ci ? » se dit Mina. Elle laissa deviner le projet de rentrer en grâce auprès de Mme Cramer, et presque tous les jours elle demandait la permission d’aller la voir.

Mina avait craint que ses manières ne donnassent des idées singulières à Mme de Larçay ; elle reconnut avec plaisir que sa nouvelle maîtresse ne voyait en elle qu’une fille moins habile à la couture que la femme de chambre qu’elle avait laissée à Paris. M. Dubois, le valet de chambre d’Alfred, fut plus embarrassant. C’était un Parisien de quarante ans et d’une mise soignée, qui crut de son devoir de faire la cour à sa nouvelle camarade. Aniken le fit parler et s’aperçut qu’heureusement sa seule passion était d’amasser un petit trésor pour être en état d’ouvrir un café à Paris. Alors, sans se gêner, elle lui fit des cadeaux. Bientôt Dubois la servit avec autant de respect que Mme de Larçay elle-même.

Alfred remarqua que cette jeune Allemande, quelquefois si