Page:Stendhal - Romans et Nouvelles, Lévy, 1854.djvu/344

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mot, lui dit Mina, je ne vous revois de la vie. Demain à la nuit, à sept heures du soir, trouvez-vous vis-à-vis la maison n" 17, rue de Chambéry.

« Comment empêcher M. de Ruppert de dire mon secret aux Larçay, qu’il voit intimement ? » Telle fut l’idée fatale qui toute la nuit plongea Mina dans la plus pénible agitation. Plusieurs fois, dans son désespoir, elle fut sur le point de demander des chevaux et de partir sur-le-champ. « Mais Alfred croira toute sa vie que cette Aniken qu’il a tant aimée ne fut qu’une personne peu estimable fuyant sous un déguisement les conséquences de quelque mauvaise action. Bien plus, si je prends la fuite sans avertir M. de Ruppert, malgré son respect, il est capable de divulguer mon secret. Pourtant, si je reste, comment éloigner les soupçons de M. de Ruppert ? Par quelle fable ? »

Au même bal masqué, où Mina fit une rencontre si fâcheuse, tous ces hommes du grand monde, sans esprit, qui vont aux eaux promener leur ennui, entourèrent Mme de Larçay comme à l’ordinaire. Ne sachant trop que lui dire ce soir-là, parce que les lieux communs qui conviennent à un salon ne sont plus de mise au bal masqué, ils lui parlèrent de la beauté de sa femme de chambre allemande. Il se trouva même parmi eux un sot plus hardi qui se permit quelques allusions peu délicates à la jalousie que l’on supposait à Mme de Larçay. Un masque tout à fait grossier l’engagea à se venger de son mari en prenant un amant ; ce mot fit explosion dans la tête d’une femme fort sage et accoutumée à l’auréole de flatteries dont une haute position et une grande fortune entourent la vie.

Le lendemain du bal, il y eut promenade sur le lac. Mina fut libre et put se rendre chez Mme Cramer, où elle reçut M. de Ruppert. Il n’était pas encore remis de son étonnement. — De grands malheurs qui ont changé ma position,