Page:Stendhal - Romans et Nouvelles, Lévy, 1854.djvu/354

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Ne vous fâchez, si vous devez vous fâcher, qu’après avoir vu. Si je me trompe et si je vous trompe, vous en serez quitte pour une nuit passée dans quelque cachette auprès de la chambre de Mme de Larçay. »

Alfred fut fort troublé par cette lettre. Un instant après, il reçut un mot de Aniken. « Nous arrivons à Aix ; Mme Cramer vient de se retirer dans sa chambre. Je suis libre ; venez. » — M. de Larçay pensa qu’avant de se mettre en embuscade dans le jardin de la maison, il avait le temps de passer dix minutes avec Aniken. Il arriva chez elle extrêmement agité. Cette nuit, qui était déjà commencée, allait être aussi décisive pour Mina que pour lui ; mais elle était tranquille. A travers toutes les objections que lui faisait sa raison, elle avait la même réponse : la mort. — Vous vous taisez, dit Mina à M. de Larçay ; il est clair qu’il vous arrive quelque chose d’extraordinaire. Puisque vous avez tant fait que de venir, je neveux pas vous quitter de toute la soirée.

Contre l’attente de Mina, Alfred y consentit sans peine. Dans les circonstances décisives, une âme forte répand autour d’elle une sorte de magnanimité qui est le bonheur. — Je vais faire le sot métier de mari, lui dit enfin Alfred. Je vais me cacher dans mon jardin ; c’est, ce me semble, la façon la moins pénible de sortir du malheur où vient de me plonger une lettre anonyme. — Il la lui montra.

— Quel droit avez-vous, lui dit Mina, de déshonorer Mme de Larçay ? N’êtes-vous pas en état de divorce évident ? Vous l’abandonnez et renoncez au droit de tenir son âme occupée ; vous la laissez à l’ennui naturel a une femme de trente ans riche et sans le plus petit malheur : n’a-t-elle pas le droit d’avoir quelqu’un qui la désennuie ? Et c’est vous qui me dites que vous m’aimez, vous, plus criminel qu’elle, car avant elle vous avez outragé votre lien commun ; c’est vous qui voulez la condamner à un éternel ennui !

Cette