C’était en quoi, bien qu’infaillible, sa sainteté se trompait, ainsi que Rome tout entière. La Campobasso était éperdument amoureuse, son amant partageait sa passion, et cependant elle était fort malheureuse. Il y avait plusieurs mois qu’elle voyait presque tous les jours le chevalier de Sénecé, neveu du duc de Saint-Aignan, alors ambassadeur de Louis XV à Rome.
Fils d’une des maîtresses du régent Philippe d’Orléans, le jeune Sénecé avait été l’objet des faveurs les plus singulières. Colonel depuis longtemps, quoiqu’il eût à peine vingt-deux ans, il avait quelques habitudes de fatuité, mais sans insolence. La gaieté, l’envie de s’amuser de tout et toujours, l’étourderie, le courage, la bonté, formaient les traits les plus saillans de ce singulier caractère, et l’on pouvait dire alors, à la louange de la nation, qu’il en était un échantillon parfaitement exact. Ce caractère, dès les premiers instans, avait séduit la Campobasso. « Je me méfie de vous, lui avait-elle dit, vous êtes Français ; mais je vous avertis d’une chose : le jour où l’on saura dans Rome que je vous vois quelquefois en secret, je serai convaincue que vous l’avez dit, et je ne vous aimerai plus. »
Tout en jouant avec l’amour, la Campobasso s’était éprise d’une passion furieuse. Sénecé aussi l’avait aimée, mais il y avait déjà huit mois que leur intelligence durait, et le temps, qui redouble la passion d’une Italienne, tue celle d’un Français. La vanité du chevalier le consolait un peu de son ennui ; il avait déjà envoyé à Paris deux ou trois portraits de la Campobasso. Du reste, comblé de tous les genres de biens et d’avantages, pour ainsi dire, dès l’enfance, il portait l’insouciance de son caractère jusque dans les intérêts de la vanité, qui d’ordinaire maintient si inquiets les cœurs de sa nation.
Sénecé ne comprenait nullement le caractère de sa maîtresse, ce qui fait que quelquefois sa bizarrerie l’amusait, bien