Page:Stendhal - Romans et Nouvelles, Lévy, 1854.djvu/371

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

reste, en ce moment il avait un chagrin : en traversant les caves et les souterrains qui, d’une maison voisine du palais Campobasso, le conduisaient dans cette salle basse, la broderie toute fraîche d’un habit charmant et arrivé de Paris la veille s’était chargée de plusieurs toiles d’araignée. La présence de ces miles d’araignée le menait mal à son aise, et d’ailleurs il avait cet insecte en horreur.

Sénecé, croyant voir du calme dans l’œil de la princesse, songeait à éviter la scène, à tourner le reproche au lieu de lui répondre ; mais, porté au sérieux par la contrariété qu’il éprouvait : « Ne serait-ce point ici une occasion favorable, se disait-il, pour lui faire entrevoir la vérité ? Elle vient de poser la question elle-même ; voilà déjà la moitié de l’ennui évité. Certainement il faut que je ne sois pas fait pour l’amour. Je n’ai jamais rien vu de si beau que cette femme avec ses yeux singuliers. Elle a de mauvaises manières, elle me fait passer par des souterrains dégoûtans ; mais c’est la nièce du souverain auprès duquel le roi m’a envoyé. De plus, elle est blonde dans un pays où toutes les femmes sont brunes : c’est une grande distinction. Tous les jours j’entends porter sa beauté aux nues par des gens dont le témoignage n’est pas suspect, et qui sont à mille lieues de penser qu’ils parlent à l’heureux possesseur de tant de charmes. Quant au pouvoir qu’un homme doit avoir sur sa maîtresse, je n’ai point d’inquiétude à cet égard. Si je veux prendre la peine de dire un mot, je l’enlève à son palais, à ses meubles d’or, à son oncle-roi, et tout cela pour l’emmener en France, au fond de la province, vivoter tristement dans une de mes terres... Ma loi, la perspective de ce dévouement ne m’inspire que la résolution la plus vive de ne jamais le lui demander. L’Orsini est bien moins jolie : elle m’aime, si elle m’aime, tout juste un peu plus que le castrat Butafoco que je lui ai fait renvoyer hier ; mais elle a de l’usage, elle sait vivre, on peut arriver