Page:Stendhal - Romans et Nouvelles, Lévy, 1854.djvu/376

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exigé de la nouvelle convertie la promesse de ne pas recevoir Sénecé ce jour-là. Cette promesse avait peu coûté à la princesse : elle se croyait pieuse, et, dans le fait, avait peur de se rendre méprisable par sa faiblesse aux yeux du chevalier.

Cette résolution tint ferme jusqu’à quatre heures ; c’était le moment delà visite probable du chevalier. Il passa dans la rue, derrière le jardin du palais Campobasso, vit le signal qui annonçait l’impossibilité de l’entrevue, et, tout content, s’en alla chez la comtesse Orsini.

Peu à peu la Campobasso se sentit comme devenir folle. Les idées et les résolutions les plus étranges se succédaient rapidement. Tout à coup elle descendit le grand escalier de son palais comme en démence, et monta en voiture en criant au cocher : « Palais Orsini. »

L’excès de son malheur la poussait comme malgré elle à voir sa cousine. Elle la trouva au milieu de cinquante personnes. Tous les gens d’esprit, tous les ambitieux de Rome, ne pouvant aborder au palais Campobasso, affluaient au palais Orsini. L’arrivée de la princesse fit événement ; tout le monde s’éloigna par respect ; elle ne daigna pas s’en apercevoir : elle regardait sa rivale, elle l’admirait. Chacun des agrémens de sa cousine était un coup de poignard pour son cœur. Après les premiers complimens, l’Orsini, la voyant silencieuse et préoccupée, reprit une conversation brillante et disinvolta.

— Comme sa gaieté convient mieux au chevalier que ma folle et ennuyeuse passion ! se disait la Campobasso.

Dans un inexplicable transport d’admiration et de haine, elle se jeta au cou de la comtesse. Elle ne voyait que les charmes de sa cousine : de près comme de loin, ils lui semblaient également adorables. Elle comparait ses cheveux aux siens, ses yeux, sa peau. A la suite de cet étrange examen, elle se