Page:Stendhal - Rome, Naples et Florence, I, 1927, éd. Martineau.djvu/55

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quelle énergie ! quelle âme toute à la scène ! Il joue tous les soirs, depuis quarante jours, cette Tête de bronze ; n’ayez pas peur qu’il jette un regard dans la salle ; il est toujours le valet de chambre poltron et sensible du duc de Hongrie. En France, un homme d’autant d’esprit (Bassi fait de jolies comédies) aurait peur d’être ridicule, par l’importance qu’il met à son rôle, même quand personne ne l’écoute. Je lui ai fait ce soir cette objection, il m’a répondu : « Je joue bien pour me faire plaisir à moi-même. Je copie un certain valet poltron, dont mon imagination m’a procuré la vue les premières fois que j’ai joué mon rôle. Quand je parais en scène maintenant, j’ai du plaisir à être en valet poltron. Si je regardais dans la salle, je m’ennuierais à périr ; je crois même que je manquerais de mémoire. D’ailleurs, j’ai si peu de voix, si je n’étais pas bon acteur que serais-je ? » — Pour une belle voix, comme pour la fraîcheur des attraits chez les femmes, il faut un cœur froid.

Par une disposition instinctive, que j’ai bien observée ce soir sur le baron allemand Kœnisfeld, ces êtres, tout âme, choquent les personnes de la très-haute société qui manquent un peu d’esprit, il leur faut des talents appris ; ils trouvent de l’excès dans tout ce qui est inspiré.