Page:Stendhal - Rome, Naples et Florence, II, 1927, éd. Martineau.djvu/131

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efforts pour ne laisser échapper aucune nuance de bonheur et de volupté. Ici, tout a été imprévu et plaisir de l’esprit, sans effort, sans anxiété, sans battement de cœur ; c’était comme un plaisir d’ange. Je conseillerais au voyageur de se faire passer dans les villages de Toscane pour un Italien de la Lombardie. Dès la première phrase, les Toscans voient que je parle fort mal ; mais comme les mots ne me manquent pas, dans leur dédain superbe pour tout ce qui n’est pas la Toscana favella, lorsque je leur dis que je suis de Como, ils me croient sans peine. Je m’expose, il est vrai : il serait fâcheux de me trouver vis-à-vis d’un Lombard ; mais c’est un des dangers de mon état, comme dit au sage Ulysse Grillus changé en porc par Circé[1]. La présence d’un Français donnerait sur-le-champ une tout autre physionomie à la conversation.

L’honneur national du lecteur dira que je suis affecté de monomanie, et que mon idée fixe est l’admiration pour l’Italie ; mais je me manquerais à moi-même si je ne disais pas ce qui me semble vrai. J’ai habité pendant six ans ce pays que l’homme à honneur national n’a peut-être jamais vu. Il ne fallait pas une préface moins

  1. Dans l’admirable Dialogue de Fénelon.