Page:Stendhal - Rome, Naples et Florence, II, 1927, éd. Martineau.djvu/142

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le gros marquis Filorusso célèbre par le poëme de Buratti, dont il est le héros conjointement avec un éléphant, et par sa campagne sur la place San Fedele à Milan, vient d’être affligé d’une des plus chaudes volées de coups de canne qui se soient jamais distribuées.

    qui, il peut y avoir trois ans, maria sa fille Laodina à un jeune homme nommé Teranza, aussi négociant, et dont il était tuteur. Laodina eut deux enfants ; elle était sage et pieuse autant que belle. Je ne sais plus qui me la fit remarquer, en passant par la place du Dôme, comme la plus jolie des riches marchandes, qui conservent encore l’ancienne habitude de passer chaque jour quelques heures à leur comptoir. Je ne manquais jamais de m’arrêter devant cette boutique ; et quelquefois, à travers les châles et les mousselines exposés en montre, je parvenais à voir cette figure angélique. Laodina n’était pas grande ; elle avait des cheveux blonds, un œil modeste ; elle était fort pâle, l’ensemble de sa figure avait quelque chose de sérieux et de tendre. Il peut y avoir six mois que son mari la soupçonna d’aimer Valterna, jeune marchand qu’elle connaissait depuis longtemps. Le mari, jaloux, défendit à Valterna l’entrée de sa maison, et même lui fit donner, par deux Buli, une volée de coups de bâton. Le mari finit par avoir recours à la police, pour qu’elle prescrivît à Valterna de ne plus passer sous ses fenêtres. Le 18 janvier, il y aura jeudi trois semaines, Laodina alla au Théâtre de la Canobiana, où l’on donnait Paul et Virginie. Son amant était au parterre, et la regardait beaucoup ; elle avait la loge n° 6, à la première file. Laodina se montra plus gaie que de coutume ; seulement on s’est souvenu qu’à un certain passage de la pièce elle dit : C’est ainsi que finissent les vrais amants.

    Dès le matin, Laodina avait envoyé ses enfants chez sa mère. De retour chez elle, vers minuit, elle présenta à son mari un verre d’agro di cedro (sorte de limonade), où elle avait mis un peu d’opium ; elle en prit un elle-même, où il y avait du poison. Les époux se couchèrent ; il paraît que quand Laodina vit son mari endormi, elle l’enferma à clé dans sa chambre, et introdniait son amant Valterna dans la première pièce de leur petit appartement. Vers les trois