Page:Stendhal - Rome, Naples et Florence, II, 1927, éd. Martineau.djvu/66

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de vivre avec six mille francs. La même classe, en Angleterre, veut surtout consommer, et s’estime plus ou moins d’après le montant de la carte de son dîner. Quand j’allais chez les gens à argent de France et d’Angleterre, qui ne savent pas trop ce que c’est que mon nom (les Bentivoglio, seigneurs de Bologne au quinzième siècle), si je mettais à ma cravate mon diamant de cinq cents louis, je me voyais sensiblement plus estimé. L’industrie porte les Français au travail ; ils trouvent du plaisir à travailler, ils sont heureux ; l’aristocratie les rendrait, au contraire, horriblement à plaindre ; mais j’aime mieux vivre avec des gens qui parlent quelquefois de croisade. Peut-être y a-t-il autant d’insolence au fond que chez le banquier à millions, mais elle est ancienne dans la famille ; mais l’on n’a pas à se venger de la condition subalterne où l’on a passé sa jeunesse ; et enfin, à insolence égale, je trouve de plus chez les aristocrates des manières élégantes, et même quelquefois de l’esprit. Un homme qui porte un nom historique ne me rappellera sa haute naissance, bon an mal an, qu’une fois tous les deux mois ; un être qui a gagné un million de louis a l’air de me dire trois fois par soirée : « Il faut que vous soyez bien ignare, vous qui avez déjà trente ans, pour n’avoir pas fait