Page:Stendhal - Rome, Naples et Florence, II, 1927, éd. Martineau.djvu/89

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de cette plaine immense et couverte d’arbres comme une forêt. L’Italien aime à faire le cicerone ; le maître de poste de Loïano a voulu me persuader que je voyais la mer Adriatique (dix-neuf lieues) : je n’ai point eu cet honneur-là. Sur la gauche, les objets sont plus voisins de l’œil, et les sommets nombreux des Apennins présentent l’image singulière d’un océan de montagnes fuyant en vagues successives. — Je bénis le ciel de n’être pas savant : ces amas de rochers entasses m’ont donné ce matin une émotion assez vive (c’est une sorte de beau), tandis que mon compagnon, savant géologue, ne voit, dans cet aspect qui me frappe, que des arguments qui donnent raison à son compatriote, M. Scipion Breislak, contre des savants anglais et français. M. Breislak, né à Rome, prétend que c’est le feu qui a formé tout ce que nous voyons à la surface du globe, montagnes et vallées. Si j’avais les moindres connaissances en météorologie, je ne trouverais pas tant de plaisir, certains jours, à voir courir les nuages, et à jouir des palais magnifiques ou des monstres immenses qu’ils figurent à mon imagination. J’observai une fois un pâtre des chalets suisses qui passa trois heures, les bras croisés, à contempler les sommets couverts de neige du Jung-Frau. Pour lui, c’était une musique.